Célébration du 80e anniversaire de la Libération de Bischwiller
du mardi 18 mars 2025
Retour en images sur la célébration de la Libération de Bischwiller qui s’est tenue ce dimanche 16 mars à l’occasion de son 80e anniversaire.
Une journée commémorative sous le signe du partage avec la participation du Conseil Municipal des Enfants, des collégiens et lycéens de la cité scolaire André Maurois, les jeunes chanteurs de la Musique pour la paix, la chorale œcuménique, l’orchestre d’harmonie de Bischwiller, les Sapeurs Pompiers, la Police Municipale, la Gendarmerie, le 28eme groupe géographique et le Souvenir Français.
Discours de Jean-Lucien Netzer, maire de Bischwiller
Aujourd’hui, 16 mars 2025, nous sommes rassemblés pour nous souvenir et pour rendre hommage à tous ceux qui, au péril de leur vie, ont su dire « Non » à l’occupation et à la barbarie nazies.
Mais ce moment de recueillement et d’hommage permet aussi de conforter la vérité essentielle que dans les heures les plus noires de l’existence, malgré les souffrances et les doutes, il nous reste toujours l’espérance de construire un monde meilleur. Un monde fondé sur la réconciliation et le partage des valeurs fondamentales qui font la grandeur de l’humanité.
Le 9 décembre 1944, l’entrée des fantassins américains à Bischwiller marquait la libération, le retour de l’espoir d’une liberté durable, après cinq années de guerre, de frustrations, de peurs et de déchirements. C’était la fin de quatre années d’occupation, d’humiliations, d’arrestations arbitraires, de déportation, d’incorporation de force, de service de travail obligatoire. Et ceci jusqu’au bout de l’occupation. Eugène Prévôt avait été arrêté le 27 novembre, condamné à mort le lendemain et fusillé le 1ᵉʳ décembre par un Waffen-SS dans la forêt de Koenigsbruck.
Malgré l’épouvante provoquée par cette fin tragique, l’espoir se réalisait, ce n’était plus un rêve, l’espoir s’accomplissait.
Les Bischwillerois allaient retrouver ce souffle de l’espoir, poussé par cet embrun de liberté. Mais la liesse fut de courte durée. Un mois plus tard, l’occupant allemand menaçait à nouveau la ville. Les combats se poursuivaient sur un front non stabilisé et fluctuant le long de la Moder et vers Kilstett et Gambsheim. Les familles étaient à nouveau contraintes de se terrer dans les caves.
L’espoir refleurit néanmoins à la fin de l’hiver. Dans la nuit du 15 au 16 mars 1945, Bischwiller est définitivement libérée. Au-delà de l’espoir allait se façonner une conscience plus profonde, l’espérance de se trouver à l’aube d’un monde nouveau, que le futur ne sera pas le reflet du passé, que ce passé nous pouvons le dépasser, nous pouvons construire un monde de paix transcendé par l’espérance.
Grâce à la conception d’un monde nouveau s’appuyant sur la paix et la justice, la réconciliation avec le peuple allemand a alors été possible, devenant la base de la construction européenne.
Nous sommes rassemblés aujourd’hui pour revivre ensemble ces heures, au cours desquelles l’espoir de la délivrance se mêlait encore à l’angoisse et au doute engendrés par les combats.
Il s’agit d’un instant de mémoire solennel mais qui se distingue des autres cérémonies par l’émotion qu’il procure. Car nous tous, citoyens de Bischwiller, Alsaciens, Français, nous sommes directement concernés par l’Histoire qui s’est écrite au cours de l’automne 1944 et de l’hiver 1945 et qui a permis aux habitants de notre collectivité de renaître au printemps.
Tous, nous sommes concernés par ces faits qui nous obligent vis-à-vis de ceux qui se sont engagés pour la liberté, l’égalité et la fraternité. Par leur courage, leur volonté et leur énergie, ces hommes ont surmonté leurs peurs et leurs doutes pour s’élever et dire « Non ». Ils ont quitté leur pays d’Afrique, ces tirailleurs marocains, sénégalais, algériens, ou d’Amérique, ces jeunes engagés des troupes des États-Unis et du Canada, qui ont laissé derrière eux leurs compagnes, enfants et parents et sont venus se battre au nom des valeurs qui font la dignité de l’Homme. Combattants de la liberté et pour l’idéal démocratique, ils ont quitté leur pays, ils se sont élevés contre le totalitarisme nazi, ils sont venus aider et libérer toutes celles et ceux qui en souffraient. Ce régime totalitaire, qui a été imposé à la nation allemande dès janvier 1933 par Adolf Hitler afin de contrôler l’ensemble de la société, en s’appuyant sur une idéologie raciste et un dogmatisme visant à nier et à aliéner toutes les différences qui font la richesse de l’humanité.
Ce totalitarisme s’appuie sur une dictature qui concentre tous les pouvoirs : tous les partis politiques autres que le parti nazi sont supprimés, les opposants enfermés dans des camps de concentration, la presse muselée et instrumentalisée pour la propagande officielle.
Cette dictature s’appuie sur la terreur, prend le contrôle de l’enseignement, met en place l’embrigadement de la jeunesse dans les jeunesses hitlériennes, aliène les esprits par la propagande qui martèle les idées nazies et les exploits du Reich.
Cette chape de plomb, cette terreur, nos aînés et prédécesseurs de Bischwiller l’ont vécue dans leur chair, et ceci jusqu’aux dernières heures avant la libération.
Cette mi-mars s’identifie à la liberté retrouvée, au souvenir d’hommes et de femmes désormais libres des angoisses de chaque instant, libres des privations, libres des brimades et de l’oppression. Enfin soulagée, la population peut exprimer sa joie et faire son deuil des disparus sous le joug nazi.
C’est pourquoi le mot Libération prend tout son sens. Pour nous libérer, ils étaient là, sur notre chère terre d’Alsace, cette terre qui gardera à jamais les stigmates de notre triste passé… ce goût d’amertume provoqué par le mélange de trop de larmes et de sang… Ils étaient là, à Bischwiller, Américains, Algériens, Tunisiens et Marocains aux côtés du capitaine Chérifi. Ils étaient là pour défendre nos libertés, scellant à jamais l’amitié entre les peuples par le sang versé sur les champs de bataille.
Ils étaient présents, eux aussi, les résistants, combattants de l’ombre, suivant l’exemple du Docteur Camille Staub ou du lieutenant Pulfermuller, engagés au nom des valeurs humanistes, d’un idéal noble.
Ils étaient là, présents, ces citoyens de Bischwiller qui, comme Eugène Prévôt, payèrent de leur vie la fidélité à la France.
La commémoration de ces heures tragiques mais ô combien glorieuses nous permet de faire honneur à ces libérateurs et de rendre hommage à leur courage, à leur abnégation et à leur héroïsme.
Ces héros sont des modèles de dignité humaine pour les générations futures. Rappeler leur mémoire est notre devoir et permet de faire prendre conscience aux plus jeunes que la grandeur de l’Homme réside dans le respect du prochain et la résistance contre tous les dogmatismes, les intégrismes qui n’ont pour seul ressort que la volonté d’aliéner l’esprit d’humanisme et de soumettre l’autre.
Résister pour ne pas accepter l’intolérance, résister pour préserver la dignité de l’Homme, résister pour promouvoir l’égalité, résister pour garantir la paix, résister pour la fraternité. Tel est le sens de l’histoire que nous voulons graver dans la mémoire.
Aujourd’hui nous ne sommes pas épargnés. Les foyers de conflit disséminés sur toute la Terre, de l’océan Indien à l’Atlantique, en Asie, en Afrique ou encore en Amérique du Sud, nous montrent que l’histoire peut se répéter, que nous ne sommes jamais à l’abri de la folie meurtrière de quelques barbares fanatiques. Derrière les mouvances intégristes les mêmes ressorts sont en action : volonté d’hégémonie et de domination par la terreur, aliénation de l’esprit, arrestations et emprisonnements arbitraires, déportations, pogroms et actes génocidaires.
En célébrant la mémoire de ceux qui nous ont libérés nous rendons également hommage à nos forces armées, qui en ce moment se battent pour la paix et pour défendre ceux qui souffrent d’une tyrannie sanguinaire et idéologique, dont les raisons ne peuvent s’expliquer.
La présence des militaires de la 2e Brigade de Renseignement nous honore. Nous leur devons respect et reconnaissance car leurs camarades du 2ᵉ régiment de hussards, du 54ᵉ régiment de transmissions et du 28ᵉ groupe géographique sont aujourd’hui engagés dans des guerres au péril de leur vie. Eux aussi laissent derrière eux femme, enfants, père et mère pour remplir la mission glorieuse qu’ils se sont assignée : celle de nous défendre en toute circonstance, et en particulier contre le terrorisme. Guerre d’autant plus fourbe et perfide que l’ennemi est invisible et qu’il use de moyens abjects pour semer la terreur. Ils sont les dignes héritiers de ces hommes valeureux qui ont libéré la France, l’Alsace et Bischwiller il y a 80 ans.
Le combat d’aujourd’hui est le même qu’hier, mais nos alliés d’hier sont-ils encore nos alliés d’aujourd’hui ? Mais notre combat nous le menons toujours au nom des mêmes principes : la liberté, l’égalité des Hommes et des peuples, la fraternité qui nous unit. Ces nations qui sont unies dans le même combat ont forgé leur amitié dans les heures les plus sombres de l’histoire.
Le temps de la libération est aussi le temps de la marche vers la paix et la réconciliation. Nos ennemis d’hier sont devenus des artisans de paix et ensemble nous avons contribué à construire l’unité de l’Europe, l’alliance avec les États-Unis, la coopération fraternelle avec les pays d’Afrique.
Mais ce monde nouveau reste fragile. La désolation nous saisit quand nous regardons les actualités du monde. Les équilibres sont rompus, la fraternité entre les peuples est menacée. Impérialisme, conquête, domination économique sont les moteurs d’un désordre naissant qui rejette les valeurs de paix, de liberté et de démocratie.
Que ce dimanche de mars 2025 soit pour nous tous réunis ici par ces valeurs un temps de mémoire et de recueillement en souvenir de tous ceux qui se sont battus et se battent au nom de la liberté et de la démocratie. Aujourd’hui, nous pouvons vivre librement ce droit démocratique qui garantit à chacun sa liberté de croire, de penser, d’agir dans le respect de l’autre et le droit de vote. À travers notre devoir de mémoire, en transmettant l’Histoire à nos enfants, faisons-leur comprendre que ce droit démocratique est essentiel mais fragile. Apprenons à nos enfants que leur dignité réside dans le respect du prochain et des valeurs de la République.
« …car nous vivons dans un temps rapide, nous vivons dans le courant d’événements et d’idées le plus impétueux qui ait encore entraîné les peuples, et, à l’époque où nous sommes, une année fait parfois l’ouvrage d’un siècle. »
Et Français, Anglais, Belges, Allemands, Russes, Slaves, Européens, Américains, qu’avons-nous à faire pour arriver le plus tôt possible à ce grand jour ? Nous aimer. Nous aimer ! Dans cette œuvre immense de la pacification, c’est la meilleure manière d’aider Dieu ! »
Ce texte a été prononcé par Victor Hugo le 21 août 1849, il y a 175 ans. Il reste d’une entière actualité. Notre dignité nous invite à nous engager dans l’esprit de Victor Hugo : construire l’avenir dans la confiance et la concorde.
Vive l’amitié entre les peuples, vive la France.